RE 2020 – les préconisations de Robin Rivaton à la ministre du Logement
Posté le 11/07/2025
Article LE MONITEUR – 10 juillet 2025 – Julie Nicolas
RE 2020 : les préconisations de Robin Rivaton à la ministre du Logement
Outre un surcoût pour produire des logements et donc une potentielle réduction des chantiers neufs, l’expert s’est intéressé aux aspects opérationnels du texte pour le rendre plus accessible aux professionnels.
La construction de logements neuf représente 6 % du PIB, d’où la nécessite d’une base de données fiables sur le poids carbone des matériaux mis en œuvre. Après presque quatre mois de travail, Robin Rivaton vient de rendre son rapport à la ministre du Logement, Valérie Letard. Le dirigeant de Stonal, qui est aussi un ancien du Boston Consulting Group, devait produire une étude d’impact qualitative sur les effets du seuil 2028 de la RE 2020.
Il s’agissait donc d’évaluer les surcoûts financiers au regard des émissions de gaz à effet de serre évitées. Une tâche complexe dont il résulte un rapport de 66 pages structuré en cinq chapitres, dont 23 propositions.
Un surcoût d’investissement de 11%
Parmi les principaux constats, le rapport indique que le surcoût d’investissement entre 2022 et 2031 pèserait de 11%, avec des effets de volume et d’apprentissage qui pourraient le neutraliser au bout de 10 ans. Les gains de consommations permettraient d’absorber les surcoûts liés spécifiquement aux équipements de chauffage, même si un doute subsiste sur leur durée de vie.
Ce surcoût se traduirait par un déficit de la production neuve sur la période 2022-2035 compris entre 118 000 logements non construits pour le scénario bas et 342 000 pour le scénario haut.
Près de 8 millions de tonnes de gaz à effet de serre évitées
Côté gaz à effet de serre, en projetant les chiffres de la construction en 2024 sur 2031, l’économie carbone attendue serait de 7,9 millions de tonnes, soit 1,2 % de l’empreinte carbone de la France. Pour mémoire, le bâtiment représente environ 150 millions de tonnes de CO2 eq. Une évolution théorique qui pourrait être 15 à 25 % plus faible dans la réalité car le poids carbone de nombreux composant est souvent gonflé, en particulier du fait de l’usage des données environnementales par défaut.
Enfin, sur la méthode de calcul carbone, Robin Rivaton pointe le choix de la France d’une méthode de calcul différente de celle des autres pays européens. La directive sur l’efficacité énergétique des bâtiments (EPBD, acronyme anglais d’Energy performance of building directive) va venir rassembler les différentes méthodologies. Il faudra alors veiller à ce que la
France ne paraisse pas opposée à la liberté de circulation des marchandises.
Méthode de calcul de l’analyse de cycle de vie
« L’analyse du cycle de vie fait partie des innovations lourdes de la RE 2020, avec comme gros sujet à venir le nouveau format de la norme A+2. La norme européenne EN 15804 relative aux données environnementales présente l’ACV d’un produit suivant 4 modules : Le module A pour les impacts environnementaux de la production, du transport et de la mise en œuvre. Le B pour les impacts liés à la phase d’utilisation du produit. Le C décrit les impacts liés à la fin de vie du produit, et le D permet de calculer les bénéfices environnementaux au-delà du système, liés à la réutilisation, la valorisation ou le recyclage du produit.
L’amendement majeur, la norme EN 15804+A2 change certaines unités et ajoute des impacts. Toutes les Fiches de déclaration environnementales et sanitaires (FDES) établit dans le format précédent (EN 15804+A1) seront obsolètes et inutilisables. Ce changement va faire disparaitre temporairement des fiches le temps de les mettre à jour et rendre l’usage des données environnementales par défaut (DED) nécessaires pour Robin Rivaton, alors même que leurs valeurs sont pénalisantes. Une autre possibilité sera aussi de choisir d’autres matériaux.
« Ce changement de méthode équivaut à rajouter un jalon dans les différents seuils, comme si après 2022 et 2025, un seuil 2026 faisait son apparition », explique Robin Rivaton. Il plaide par ailleurs pour remettre des valeurs par défaut plus fiables qu’actuellement.
Diffusion du savoir
Le rapport pointe également un angle mort de la RE 2020 : la diffusion des savoirs : « Si les majors et les grands BET du secteur maîtrisent l’ACV et savent parfaitement limiter les surcoûts à 3 %, il n’en va pas de même des petits bureaux d’études, d’où des pratiques très hétérogènes sur le territoire et des surcoûts qui peuvent atteindre 15 % ».
En cas de variante, l’ACV devrait être recalculée et, si les seuils sont dépassés, de nouveaux choix doivent être effectués. Là aussi, si la pratique est maîtrisée pour certains, elle doit encore être diffusée. C’est pourquoi l’auteur du rapport note « que du point de vue opérationnel, le suivi des modifications reste un problème majeur de tous les logiciels ».
Conserver la désirabilité des logements neufs
Une autre limite de la RE 2020 réside dans la prise en compte de la désirabilité des logements neufs. En effet, réduire le poids carbone des ouvrages implique de modifier certains choix constructifs. Les espaces privés extérieurs, comme les balcons ou loggias, n’entrent pas dans la SHAB sur laquelle sont calculés quatre indicateurs clés de la réglementation environnementale (Bbio, CEP, CEP-nr et IC).
De façon schématique, il en va de même pour l’orientation des bâtiments, puisque si la RE 2020 demande à prendre en compte cet aspect, construire bas carbone incite à regrouper les logements et à limiter le linéaire de parois extérieures (moins de ponts thermique, donc moins de quantité de matériaux). Mais cela se traduit souvent par des bâtiments mono orientés, impossible à ventiler naturellement, sauf sur le pourtour méditerannéen. Enfin, la position unique des ouvrants oblige à arbitrer en permanence entre bruit routier, ferroviaire, pollution et apport d’air, ce qui contribue à un confort inférieur à celui des logements livrés sous la RT 2012.
Pour Robin Rivaton, la hauteur sous plafond est également devenu une variable d’ajustement, avec une diminution de 2,70 à 2,50 m. Certes, cela réduit de 10 % le volume chauffé, mais la stratification thermique utile pour le confort d’été s’amenuise. Le manque de plénum rend impossible l’installation de réseaux aérauliques ou le déploiement de brasseurs d’air.
Refonte du « confort d’été »
Le terme même de confort d’été est inadapté. Pour Robin Rivaton, « il présente un évident problème de nommage », puisqu’au-dessus de 26 °C, il n’y a pas de confort, mais une impérieuse nécessité de construire des logements capables de résister au changement climatique, et notamment au réchauffement.
Il s’agit bien de trouver un équilibre entre atténuation et adaptation. Le calcul du Degré heure est biaisé puisque le référentiel des climats a été établi sur la période 2000-2018 et ne tient pas compte de l’accélération déjà observée. Météo France anticipe un réchauffement moyen de 2,7 °C d’ici à 2050 et des vagues de chaleur pratiquement annuelle.
Le second biais vient des scénarios de vie qui postulent une inoccupation des logements entre 10h et 18h quatre jours/semaine, or la réalité est différente : un salarié/cinq télétravaille, sans compter les retraités, étudiants et jeunes enfants qui restent au domicile en cas de fortes chaleur. Enfin, la ventilation et le rafraîchissement nocturnes sont limités en ville du fait de l’effet d’ilot de chaleur urbain.
Enfin, Robin Rivaton considère qu’il faut briser le tabou de la production de froid, puisque la RE 2020 a été construite pour limiter le recours à la climatisation. Ce qui se traduit in fine par des appareils non déclarés en maisons individuelles et des systèmes qui ne sont pas pleinement utilisés en collectif.
Préserver l’ambition sans dogmatisme
Afin de préserver les ambitions de la RE 2020, l’auteur n’envisage aucune suspension du texte. « L’idée est inconcevable car l’instabilité qui s’ensuivrait serait très coûteuse pour la filière qui a besoin d’un cadre de moyen terme. ».
Le rapport propose donc 23 mesures afin de neutraliser les surcoûts à terme, réduire l’impact sur la construction annuelle de logements, garantir l’absence de tout arbitrage sur la qualité des logements, préserver l’essentiel de la réduction carbone et assurer que la norme soit réellement appliquée.
Les 23 préconisations de Robin Rivaton à la ministre du Logement
Le rapport sera bientôt disponible sur le site du ministère du Logement. En attendant, voici un résumé des 23 mesures préconisées par Robin Rivaton :
1) Recalculer le seuil de départ de 2022 pour tenir compte du passage des FDES du format A1 ou format A2. L’expert préconise de rehausser les seuils de 40 kg eq CO2, soit un recul sur les exigences environnementales.
2) Financer la production de FDES, de PEP et de configurateurs, avec une participation significative de l’Etat « s’il souhaite être sérieux dans la constitution de la base Inies sur laquelle repose une politique qui pèse 6 % de l’activité économique du pays.
3) Recalculer les valeurs par défaut des DED à partir de 2028.
4) Autoriser la substitution de produits pour faciliter la réalisation des études. Les MOA devraient pouvoir remplacer un produit dont les performances sont équivalentes à plus ou moins 5 %.
5) Simplifier les contrôles en fin de chantier pour qu’ils puissent avoir lieu.
6) Donner un identifiant unique et pérenne de chaque bâtiment, dans la lignée de ce que fait le CSTB avec la Base de données nationale des bâtiments (BDNB).
7) Investir dans la diffusion du savoir avec une véritable plateforme de vulgarisation et de diffusion des connaissances. Elle pourrait, par exemple, diffuser des tutos didactiques et gratuits dédiés à chaque type d’acteur (BET, MOA, entreprises…).
8) Créer un indicateur ciblant le carbone tout au long de la vie, un IC global qui serait la somme de l’IC construction et de l’IC énergie.
9) Mener une refonte du moteur de calcul Th-BCE 2020, qui est relativement ancien. Les travaux sont d’ailleurs en cours : le nouveau logiciel est déjà baptisé Colibri.
10) Avoir des renouvellements inférieurs à 1, c’est-à-dire des coefficients de durabilité pondérant la mise en œuvre initiale.
11) Découper en sous-lots les lots 10 et 11, à l’instar de ce qui se fait pour le lot 8.
12) Simplifier l’ACV du béton de structure pour limiter le temps d’étude en permettant la saisie séparée du ferraillage et du béton.
13) Revoir l’indicateur de confort d’été.
14) Libérer la possibilité de refroidir.
15) Pérenniser les modulations de 2024 jusqu’au-delà du jalon 2031.
16) Introduire la modulation de qualité d’usage.
17) Introduire une modulation logement neuf dans le DPE.
18) Exonérer la surélévation/extension tant qu’elles restent inférieures à 30 % de la surface de plancher initiale. Une mesure qui semble quand même aller contre l’objectif de décarbonation.
19) Libérer les immeubles de grande hauteur (IGH).
20) Equilibrer la rénovation et la construction.
21) Assujettir le tertiaire spécifique (commerce, hôtels…) aux seuils de 2025 sans chercher à créer de nouveaux jalons.
22) Inscrire des clauses de revoyures dans les futurs décrets du 31 décembre 2027 et du 31 décembre 2030.
23) Préciser la cible et s’engager sur le fait que la RE 2020 est bien l’objectif jusqu’en 2030. Au-delà, le besoin en logements neufs devrait baisser et le besoin de nouveaux logements sera donc moins pressant.